mercredi 27 octobre 2010

Vie privée - Vie publique : Facebook, les élèves et le prof

Je me rappelle Mme Lenain, ma prof d'histoire en 5ème, qui m'écrivait des lettres que je trouvais sur ma table en arrivant dans la classe. Je croyais qu'elle était amoureuse de moi, ou quelque chose d'approchant, alors que je vois bien maintenant qu'elle me trouvait chouette élève. Mme Lenain, vous auriez été bien embêtée avec Facebook !

Comme je le confiais à Christophe Batier à Ludovia 2010, les rapport profs / élèves sur Facebook me posent question depuis longtemps, et notamment depuis que j'ai coordonné avec ma copine Caro d'Atabékian le numéro des Cahiers Pédagogiques sur le web 2 et l'école.


Causerie2 à Ludovia 2010 avec Caroline Jouneau-Sion
envoyé par Batier. - Cours, soirées et beaucoup d'autres vidéos de la vie étudiante.

Doit-on accepter nos élèves sur Facebook ? Une fois que c'est fait, doit-on regarder leurs profils ? Intervenir sur leurs profils, interagir avec eux via le réseau social ? Caroline d'Atabékian et moi-même avons demandé l'avis de Benoît Drunat, psychanalyste, qui dit en substance : "Laissez ces ados tranquilles sur Facebook". Ce n'est pas si facile... Alors comment faire ? Je vous propose le fruit de ma réflexion, basée sur ma propre expérience. Pas d'analyse scientifique, pas d'étude sérieuse, et donc ça vaut... Une expérience personnelle.

Deux profils

Je crois très important que les enseignants qui ont décidé d'accepter leurs élèves sur Facebook disposent deux profils séparés : l'un pour les adultes (famille, amis, collègues ou que sais-je, selon leurs usages) et un autre pour les élèves et leurs parents. Même si, au départ, vous ne ressentez pas le besoin personnel d'un profil Facebook, si vous n'en créez un que pour répondre à la demande de vos loustics de 4ème B, il arrivera un jour où votre collègue Bernard, votre cousine Jacqueline ou votre pote d'enfance Bertrand vous y trouvera et vous invitera. Vous serez alors tenté de répondre à son invitation pour pouvoir communiquer avec lui, voir les photos du petit dernier de Jacqueline ou raconter les dernières perles trouvées dans les copies. Et vos ennuis commenceront alors.

Deux comptes, il vous faut créer deux comptes, tout de suite. Au diable l'avarice !

Sur ce compte, n'invitez pas vos élèves, sauf cas particulier de projet pédagogique. Attendez qu'ils viennent vous chercher, prévenez-les que vous n'êtes pas spécialement leur "ami" mais que vous êtes ravi(e) d'être en contact avec eux. 

Et ne liez pas ces deux comptes. Ne soyez pas votre propre ami (même si c'est tentant, hé hé, au moins un sur qui vous pourrez compter !)


Les pieds sur Terre

Ceci dit, tout cela n'a pas réglé la question des relations que vous pouvez avoir avec vos élèves, et c'est cette question là que je n'arrivais pas à résoudre avant hier et une discussion avec J.M. Zakhartchouk et Rémy Buchy, du CRAP-Cahiers Pédagogiques.

Quel est le problème, après tout, de cette communication sur Facebook avec vos élèves ?

On voit leur vie privée, et c'est pas toujours beau à voir. On passe les "en couple avec" et les babillages amoureux. Je parle plutôt des photos de beuveries et autres trucs pas très légaux ni civils.


  • Regarder ou pas ? 
On part du principe qu'il vous ont invité(e) et que vous les avez prévenu que malgré tout, vous n'êtes pas copains. Pour ma part je leur ai dit en classe que du coup, je pouvais voir leur profil. Ils assument, donc, en toute connaissance de cause ! Ceci dit, ce n'est pas parce que quelqu'un laisse son journal intime ouvert sur la table que vous allez fouiller dedans... Sur Facebook, pareil ! Voir, mais pas fouiller. C'est une règle de civilité, après tout...

  • Intervenir ou pas ?
J'ai habité dix ans à côté de mon établissement scolaire et j'ai donc trouvé des élèves (de collège !) en train de fumer des joints, de boire de l'alcool ou autres âneries peu avouables. J'ai toujours trouvé normal d'user de ma position d'enseignante et de citoyenne pour intervenir gentiment en faisant de petits rappels à la loi, aux règles. Gentiment pour ne pas me faire casser la figure, quand même ! Il m'est même arrivé de les prévenir que j'appelais la police (ils cassaient les jeux pour les enfants au jardin public, non mais !).

Après tout, dans les écoles de village du début du XXème siècle, les instituteurs de la troisième République ne se comportaient pas autrement... Nous l'avons oublié parce que nous sommes désormais enfermés dans nos maisons, parfois loin de notre lieu d'exercice, et les réseaux sociaux ne font que nous ramener à une situation oubliée... Le dictionnaire de pédagogie de Ferdinand Buisson (qui a lui aussi une page Facebook, mais oui !) nous rappelle le rôle de l'instituteur d'après Jules Ferry :
Un « éducateur », l'éducateur laïque par excellence, celui qui, dans chaque commune, représente non pas tel parti dominant, non pas telle opinion ou telle croyance, mais la société elle-même en tant qu'elle s'occupe de préparer ses enfants pour l'avenir, en tant qu'elle les veut intelligents, instruits, libres, égaux et mûrs pour la vie civique.
Dictionnaire de Pédagogie de Ferdinand Buisson, édition de 1911, article "Instituteurs, Institutrices"

(Vous lirez aussi La  Lettre de Jules Ferry aux instituteurs (17 novembre 1883) si le coeur vous en dit)

Je crois donc qu'il faut intervenir lorsque ça nous démange, que nous sentons que nous sommes dans notre rôle d'éducateur. Mais cela ne signifie pas qu'il faille intervenir sur le même canal. Il faut utiliser le moyen de communication le plus adapté, de l'échange verbal au courriel en passant par la lettre. Voire passer par les parents ou l'assistante sociale si cela vous semble plus adapté. Personnellement, je pense qu'il vaut mieux éviter les conversations privées avec vos élèves sur Facebook parce qu'on se trouve tout de même à la frontière entre public et privé, qui est peut-être nette pour vous, mais sûrement pas pour eux. Après tout, je suis sûre que vous évitez de vous trouver dans une salle fermée avec un seul élève, surtout hors de votre établissement ! Malgré cela, j'ai déjà échangé en privé sur Facebook, avec des élèves pour lesquels je sens (instinct, à prendre avec des pincettes !!!) que cela ne pose pas de problème, et sur des sujets qui sont très éloignés de la vie privée, sur un ton et dans un langage très professionnel.

Le (dé)goût de l'outil

Basés sur les relations humaines, les réseaux sociaux se prêtent mal aux injonctions, aux règles universelles. Facebook est un outil de communication. Vous ne le supportez pas ? Oubliez même que ça existe, et préférez-lui les mots dans le carnet, les lettres, la discussion de fin de cours, voire le téléphone (si si, ça arrive !).

Vous avez envie de l'utiliser avec vos élèves ? Faites-le, mais jamais sans vous poser les questions que vous ne manquez pas de vous poser lorsque vous êtes seul dans une salle avec un de vos élèves. Des questions de bon sens, qui prennent en compte le fait qu'ils sont adolescents et vous adulte, responsable, citoyen et éducateur, que la communication écrite est parfois source de malentendus, que l'écrit reste etc...

mercredi 20 octobre 2010

Madame, pourrait-on avoir un cours à apprendre ?

Mes élèves de seconde 8 cherchent, discutent, s'engueulent, rient, écrivent. Ils sont en cours de géo et ont à me faire le cours sur les inégalités. Les consignes sont données : à l'aide d'un dossier documentaire proposé, me faire le cours sur le développement et les inégalités qui en découlent. L'un des groupes, tiré au sort, devra présenter ses conclusions qui formeront le cours, une fois que la classe aura comblé les lacunes et corrigé les erreurs. L'ambiance est .... hum...




... bruyante, et c'est difficile à supporter pour un enseignant. Que dirait un collègue qui passerait la porte ? Que c'est le b....azar, que la discipline n'est pas maintenue, que l'ambiance n'est pas au travail ? Mais je prête l'oreille (et le téléphone !) et qu'entends-je ? Des élèves qui se disputent sur la méthode de travail, qui s'expliquent le PIB, qui proposent des formulations... qui bossent ! Qui collaborent !

A la fin de l'heure, un groupe a expliqué (fort bien d'ailleurs) comment on mesure le développement, ce qui manque à ces outils de mesure, ont critiqué cette phrase des manuels : "Des Nords et des Suds" et proposé une typologie. Les notes ont été prises au tableau, les différents éléments discutés, bref, le cours est fait.

Et pourtant ... et pourtant T., élève formidable (si si !!!) d'attention, de gentillesse, d'autonomie, s'inquiète de savoir, avant la présentation, s'il y aura un "vrai cours". Je ré-explique la démarche, et il a donc : son propre travail écrit, celui de ses camarades pris en notes, le manuel mais en sortant, il me répète : "Madame, j'aime bien ces cours, mais ne pourriez-vous pas nous donner, par exemple, une fiche qui contiendrait le vrai cours ?"

Ma conversation avec T. me semble significative des difficultés que nous pouvons tous rencontrer avec la mise en œuvre de pédagogies actives dans le secondaire :
  • les enseignants doivent envisager une posture d'aidant plutôt que savant, dans un environnement qui ressemble à l'exact inverse de ce qu'on lui a appris. Apprendre à faire avec le bruit, à le décoder, à se couper en quatre pour aider tout le monde, apprendre à rassurer, à guider, à se montrer aussi exigeant qu'ils le méritent. Apprendre à construire des scenarii plutôt que bâtir des cours, se montrer capable de réagir à des situations aussi variées que nos élèves et que leurs stratégies sont différentes. 
  • Les élèves doivent apprendre à se faire confiance et à ne plus considérer les enseignants comme la source unique du savoir. Ni la note comme l'unique récompense ! Ils doivent aussi apprendre à travailler ensemble, à coopérer, à collaborer, c'est-à-dire aussi à trouver leur place d'individu dans un groupe de travail, à une période où il est déjà difficile de s'intégrer dans un groupe d'amis. 
  • Et les parents ? Ils s'inquiètent pour leurs enfants déstabilisés, et n'ont plus les repères de leur propre expérience de l'école pour les aider à les aider.
Pas étonnant que nous ayons tous du mal à nous y mettre !